ETAT D'AME.
Dernier chant de Don Quichotte.
Se déplissent sans fin les nuages du ciel,
Par-dessus la cité, la rivière et la plaine
Et qu'un éclair soudain, dans un bruit démentiel,
Vient fendre comme un fruit, brisure en porcelaine.
Dans mon âme, mon cœur, semblables sont tourments
À ce gris, froid et lourd, qui survole ma tête.
Puisque amour, à vau l'eau, chante fin des amants
En dernier chant de bal, où se finit la fête.
Puis pleuvent larmes ciel, sur la noirceur du mur,
J'ai mal de ce destin et d'orage en partance,
Je crépite en pavé, d’une étrange démence.
S'épanche tant douleur, à qui n'a point d'armure.
Ne subsiste plus rien et qu'oncques espérance
À courir les moulins, je me mis en errance.
Devant chaque vitrine.
Je dessine ma fougue aux murs des quatre vents
Et m’éclipse sans fin sous la lune flambée,
J’ai gravé sur mon corps, aux encres des couchants,
L’étrange floraison, la rose ensanglantée,
Le cadavre figé d’une ancienne vertu,
Et le sourire froid de cet aigle de marbre,
Sur la tombe sans nom, du poète inconnu,
Animée aux reflets des ombres d’un vieil arbre.
Devant chaque vitrine,
Me vient âme chagrine.
J’ai tant rêvé de nuit et souffert du matin,
Sur des draps émeris, d’une infâme paillasse,
Que me prit en pitié, une belle catin,
Qui, delà chair blessée, avait cœur en mélasse.
L’entre jambe meurtrie, elle avait dans les yeux,
la tendresse du monde et le cœur d’une mère,
Mais que vaut pauvre femme en ce monde d’affreux.
Tout se vend et s’achète, en ce temps de calvaire.
Devant chaque vitrine,
Me vient âme chagrine.
Je fus si jeune alors, fortement démuni
Et un peu lâche aussi, je n’avais point de hargne.
Du silence d’alors, je fus bien abruti,
Le regret au futur, jamais, ne nous épargne.
J’ai douleur du passé et de mon manquement,
De l’humain j’ai la honte et aussi de moi-même.
Tout reste bien gravé, le pire et le tourment,
Et nulle action d’éclat ne supprime la peine.
Devant chaque vitrine,
Me vient âme chagrine.
Un vieux port quelque part, un bateau qui s’en va,
L’air marin se mêlant à l’horrible gazole
Nous sommes galériens et aussi des forçats,
Tel un danseur têtu en quelque farandole.
Son image me reste et son corps ambigu.
Nous ramons, nous ramons, sur des mers de sargasses.
Enfin, nous finissons, comme un ange… déçu.
Et qu’importe oraison sur nos pauvres carcasses.
Devant chaque vitrine,
Me vient âme chagrine.
Et
Et,
Comme
La rumeur,
Un cri lointain,
Qui enfle et qui gronde,
Il percute et il met,
À ton regard qui s’étonne,
Un souvenir, après tu pleures
Et tu geins, ma mémoire incertaine.
J’ai pourtant souvent nagé en cette onde.
Et me voici déjà meurtri et si laid,
Que vous ne percevez de moi, pauvre vieil homme,
Qu’une épave frigide et pourtant j’eus un grand cœur,
Des amours à foison en triste monde qui s’éteint,
À mes espoirs, à mes yeux déjà tournés vers d’autres mondes.
Mais avant, morne et mort, que je pourrisse en quelque tombe,
Que tous mes dieux me laissent une fièvre d’airain
Pour écrire, écoutant de mes muses le chœur.
Avant que d’aller vers ces lieux qui étonnent
et nous mènent vers royaume d’Hadès
Je rêve de ces belles colombes
Et que guerres, meurent tocsins
Toutes armes sous les fleurs
Que mains tendues donnent
Ce muguet de mai.
Plus d’hécatombe
Puis sereins,
Sans peur,
Paix !
Humaines splendeurs
Que faisais-tu, mon ombre, en ces temps révolus,
Au fond de ces déserts, immaculés des sables,
Ou bien dans ces marais, par le monde, inconnus ?
Et mon reflet, semblable à d’Augias, les étables,
Hurlait pitié ! Pitié ! Tel un porc qu’on égorge.
Nous bûmes comme fou, enivrés et soumis,
Le vin de déraison en nous raclant la gorge
Et paillard en haillon, je jouais les marquis.
Que faisais-tu, mon âme, éperdue et sauvage,
Incarnée, enchaînée en triste corps d’airain,
Je rêvais de grandeur, dans la force de l'âge,
Hélas, le temps s’écoule et tout espoir s’éteint.
Oh ! Mon âme perdue en quête d’infinis,
Tu pourrissais sans fin, de par ma perfidie,
Pareil aux oripeaux que tristement, j’ai mis
Et pourtant j’espérais, l'oracle de Pythie.
Que faisais-tu mon cœur, amoureux d’un nuage,
Saignant comme charogne, un sang noir et puant
À même caniveau et poings serrés de rage ?
Je voulais l’océan, mais je n’eus qu’un étang.
Et jardin dévasté n’eut plus aucune fleur.
Le cœur s'assèche au vent, passion désuète,
D'un amour écharpé, qui n’est plus que torpeur.
À l'esprit torturé, l'espérance est muette.
Où m'êtes-vous, esprit, du fond de quelque asile,
Tout clos, en camisole et tout endoctriné ?
Dès votre premier mot, vous devenez sénile,
La nuit s'inscrit déjà, chacun est opprimé
Et ne peut plus penser qu'au fond de son égout,
Et dont la pestilence enserre les cervelles.
Alors, nous consommons sans fin, jusqu'au dégoût,
Au long de nos chemins, nous semons nos poubelles.
La ballade du roi en jaune.
(inspiré du roi en jaune de Robert William Chamber et du tableau “Le triomphe de la Mort de Breughel l’ancien)
Que dessinez-vous, par-dessus vos ombres,
La plume servile, à l’encre de nuit
Et le corps meurtri, aux couleurs si sombres ?
La mort du soleil est de triste ennui,
Sous un ciel blafard, où plus rien ne luit.
En nouvelle lune, où l’espoir se meurt,
L’âme se languit et autant le cœur !
Triste rituel, comme enterrement,
Ces cris et ces chants, pour pallier la peur,
Personne ne peut se fuir du tourment.
Trépasse le temps, et aussi le nombre,
Des pauvres humains, car tout se réduit.
N’est point éternel, ce qui se voit fondre,
Dès l’aube déjà, il sonne minuit.
Qui donc vous protège et vous éconduit
Sur ce noir chariot, de triste malheur ?
Juste deux chevaux, la faux en meneur.
Toutes illusions, ne sont qu’errements,
Ni éternité, ni même bonheur,
Personne ne peut se fuir du tourment.
Même ce royaume, histoire démontre,
Sera oublié et peut être enfui.
Sous l’assaut des ans, un jour tout s’effondre,
Qui était puissant, se voit sans appui.
Pleurera demain, qui maintenant rit.
Mille déshonneurs, pour un seul honneur,
Immuable loi, d’un destin farceur.
Tout est illusoire et rien d’important,
Dès la fin du jour, nul n’est plus vainqueur,
Personne ne peut se fuir du tourment.
Amants, cardinaux, prélats ou joueurs,
Comme blé fauché, en même stupeur,
Ni prince, ni roi, Ni gueux, ni manant,
Tant pour empereur, que pour serviteur,
Personne ne peut se fuir du tourment.